jun 1, 827 - Euphèmios de Sicile demande l'aide Aghlabide contre les Byzantins
Description:
Débat organisé par l’émir aghlabide Ziyadat Allah Ier (817-833) afin de formuler la réponse à donner à la demande d’Euphèmios, chef de la flotte sicilienne qui a usurpé la fonction impériale en Sicile et vient solliciter l’aide des Ifrîqiyens contre les troupes byzantines qui entendent le ramener à la raison, alors que les Ifrîqiyens sont liés par une trêve aux Byzantins [Prigent, 2006 ; Nef, 2011a].
Un long débat a en effet lieu entre les représentants des élites de Kairouan – en particulier les spécialistes de droit –, que l’émir a réunis, afin de savoir s’il est judicieux et conforme au droit (les deux aspects apparaissent dans les sources) de mettre fin à cette trêve. Il est vrai que les textes qui retrans- crivent ces lignes de tension sont, au mieux, postérieurs aux événements de plus d’un siècle et tendent probablement à en proposer une relecture a posteriori, mais Asad b. al-Fura ̄t – juge et juriste célèbre pour avoir mêlé dans ses interprétations du droit musulman proto-hana- fisme et proto-malikisme (deux courants juridiques qui se sont déve- loppés au sein du sunnisme et ont donné toute leur mesure un peu plus tard) –, s’exprime alors fortement en faveur de la rupture de la trêve et d’une intervention aux côtés d’Euphèmios, qu’il commandera.
En revanche, Sahnun, considéré comme le père du malikisme régional, s’oppose à cette option [Nef, 2011a]. Il est donc probable – même si le conflit est en partie réinterprété a posteriori alors que le malikisme l’a emporté en Ifrîqiya – que des tensions internes aux champs séquents du politique et du savoir se firent jour et se prolongèrent dans le temps.
Source : La Sicile dans l’ensemble aghlabide (827-910) - Annliese Nef
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Euphémius était un commandant militaire byzantin. En 826, il était tourmarque et fut nommé par le nouveau gouverneur du thème de Sicile, le patrice Constantin Soudas, chef de la flotte provinciale. Selon l’historien arabe Ibn al-Athir, Euphémius mena un raid contre l’Ifriqiya, s’empara de plusieurs navires marchands avant qu’ils ne puissent atteindre des ports sûrs et dévasta les côtes. Alors qu’il était en mer, l’empereur Michel II l’Amorien envoya une lettre ordonnant sa rétrogradation et son châtiment. Euphémius apprit la nouvelle en revenant en Sicile avec sa flotte. Soutenu par celle-ci, il se révolta. Il fut proclamé empereur et mit le cap sur la capitale de la Sicile, Syracuse, qui fut rapidement prise. Le patrice Constantin était soit absent de la ville, soit réfugié à l’intérieur des terres à son approche, mais il rassembla bientôt une armée et l’attaqua. Euphémius remporta la victoire et força le gouverneur à chercher refuge à Catane. Lorsque les forces d’Euphémius marchèrent contre Catane, Constantin tenta de fuir de nouveau mais fut capturé et exécuté.
Le contexte de ces événements reste obscur. Selon Théophane Continué, Euphémius avait enlevé la nonne Homoniza de son monastère et l’avait prise pour épouse. Ses frères protestèrent auprès de l’Empereur, qui ordonna au gouverneur de l’île d’enquêter sur l’affaire et, si les accusations se révélaient exactes, de couper le nez d’Euphémius en guise de punition. Le Chronicon Salernitanum rapporte une variante différente de l’histoire, selon laquelle Euphémius était fiancé à Homoniza mais que le gouverneur de Sicile la donna en mariage à un autre, qui l’avait soudoyé. Cela poussa Euphémius à jurer vengeance contre le gouverneur. Plusieurs historiens ont mis en doute ces récits « romantiques » sur l’origine de la révolte d’Euphémius. Théophane rapporte aussi qu’il se révolta avec « certains de ses collègues tourmarques », ce qui laisse entendre un mécontentement plus large parmi les commandants provinciaux. Comme l’a remarqué Alexandre Vasiliev, la Sicile avait déjà montré des tendances à l’insoumission face au gouvernement impérial auparavant, comme lors des révoltes de Basile Onomagoulos en 718 et d’Elpidios en 781–782. Selon Vasiliev, le commandant ambitieux saisit simplement un moment opportun, alors que le gouvernement byzantin était affaibli par la récente rébellion de Thomas le Slave et occupé par la conquête musulmane de la Crète, pour s’emparer du pouvoir. L’historien allemand Ekkehard Eickhoff a émis l’hypothèse qu’Euphémius était considéré comme peu fiable par le gouvernement impérial et que son raid contre l’Ifriqiya — la première opération de ce type attestée par la flotte byzantine — fut une initiative personnelle, révélant son caractère impétueux, et qu’il aurait pu être la raison de l’ordre impérial de son arrestation, l’empereur préférant maintenir une position passive en Occident. Dans l’historiographie traditionnelle, Euphémius est considéré comme un défenseur de l’autonomie sicilienne face à Constantinople plutôt que comme un usurpateur impérial, mais dans un sceau de fonction récemment publié, il se désigne lui-même comme « Empereur des Romains », indiquant clairement ses ambitions impériales.
Quelle que fût la véritable raison de son soulèvement, peu après sa victoire sur Constantin, Euphémius fut abandonné par un proche allié, connu par les sources arabes sous le nom de « Balata » (selon Vasiliev probablement une corruption de son titre, tandis que Treadgold pense qu’il s’agissait de Platon, peut-être arménien). Balata fut apparemment chargé d’étendre le pouvoir d’Euphémius sur l’ouest de la Sicile, notamment Palerme, où son cousin Michel était gouverneur. Les deux hommes dénoncèrent l’usurpation impériale d’Euphémius et marchèrent contre Syracuse, battirent Euphémius et prirent la ville.
À l’instar d’Elpidios dans les années 780, Euphémius décida de chercher refuge chez les ennemis de l’Empire et, avec quelques partisans, s’embarqua pour l’Ifriqiya. Là, il envoya une délégation à la cour aghlabide, suppliant l’émir Ziyadat Allah d’envoyer une armée pour l’aider à conquérir la Sicile, après quoi il paierait aux Aghlabides un tribut annuel. Cette offre représentait une grande opportunité pour les Aghlabides. Ziyadat Allah venait d’écraser une révolte de trois ans menée par l’élite arabe dirigeante, mais son règne était miné par de longues tensions ethniques entre colons arabes et Berbères ainsi que par les critiques des juristes malikites contre la préoccupation des Aghlabides pour les affaires mondaines, leur système de taxation jugé « non islamique » et leur mode de vie luxueux. Une invasion de la Sicile promettait de détourner l’énergie de leurs soldats turbulents vers des entreprises plus profitables, tout en conférant au régime le prestige de mener le jihad contre les infidèles. Le conseil de Ziyadat Allah était divisé sur la question mais fut convaincu par le respecté cadi de Kairouan, Asad ibn al-Furat, qui fut placé à la tête de l’expédition. L’armée musulmane aurait compté dix mille fantassins et sept cents cavaliers, pour la plupart des Arabes et des Berbères ifriqiyens mais peut-être aussi quelques Khurasaniens. La flotte comprenait soixante-dix ou cent navires, auxquels s’ajoutaient les vaisseaux d’Euphémius.
Le 14 juin 827, les flottes alliées quittèrent la baie de Sousse et, après trois jours, atteignirent Mazara, dans le sud-ouest de la Sicile, où elles débarquèrent. Là, elles furent rejointes par des soldats loyaux à Euphémius mais l’alliance commença rapidement à se fissurer : un détachement musulman prit par erreur certains partisans d’Euphémius pour des troupes loyalistes et une escarmouche éclata. Bien que les troupes d’Euphémius aient reçu l’ordre de placer une brindille sur leur casque comme signe distinctif, Asad annonça son intention de mener la campagne sans elles. Il est clair qu’Euphémius avait déjà perdu le contrôle de la campagne au profit d’Asad et que l’armée d’invasion, en tout état de cause massivement musulmane, servait d’autres objectifs que les siens. Peu après, Balata, qui semble avoir repris les fonctions, sinon le titre, de gouverneur impérial de l’île, apparut à proximité. Les musulmans battirent Balata, qui se replia d’abord à Enna, puis en Calabre sur le continent italien, où il espérait rassembler plus de troupes. Au lieu de cela, il mourut peu après son arrivée. Michel resta à la tête de Palerme, mais ailleurs sur l’île, la résistance semble avoir été minime. Asad se dirigea vers Syracuse mais interrompit son avancée lorsqu’une ambassade de la ville proposa de payer tribut aux musulmans. À ce moment, Euphémius commença à regretter son alliance avec les Aghlabides et entra en contact secret avec les impériaux, les incitant à résister aux Arabes. Ayant gagné du temps pour préparer leurs défenses, les habitants de Syracuse refusèrent de payer le reste du tribut et les musulmans entreprirent le siège de Syracuse. Le siège dura jusqu’au printemps 828, lorsqu’une épidémie emporta Asad et que l’arrivée d’une flotte byzantine força les musulmans à abandonner l’entreprise. Les Arabes tentèrent même de regagner l’Ifriqiya mais furent empêchés par les navires byzantins. Déçue, l’armée musulmane brûla ses navires et se replia par voie terrestre jusqu’au château de Mineo, qu’elle captura.
Après la reddition de Mineo, l’armée musulmane se divisa, une partie prit Agrigente à l’ouest, tandis que l’autre, accompagnée d’Euphémius, attaqua Enna. La garnison d’Enna entama des négociations, offrant de reconnaître l’autorité d’Euphémius s’il tenait les musulmans à l’écart. Confiant dans son succès, Euphémius, avec une petite escorte, alla à la rencontre de deux frères désignés comme émissaires et fut poignardé à mort. On ignore ce qu’il advint de ses partisans après sa mort, qu’ils se soient dispersés ou aient continué à combattre aux côtés des musulmans.
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