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15 out 1269 ano - Ambassadeurs hafsides auprès de Louis IX à Paris et espoirs de conversion d’al-Mustansir

Descrição:

Alors que Jaume d’Aragon se remettait à Agde de sa traversée du golfe du Lion, son cuisinier vint lui raconter une histoire. Un bateau amarré à côté du leur dans le port avait deux passagers à bord qui venaient d’arriver de Tunis. L’un était Francis Cendra, prieur de Sainte-Catherine, une importante maison dominicaine de Barcelone liée à la famille royale. L’autre était Ramon Martí, un frère dominicain maîtrisant l’hébreu et l’arabe, que Jaume avait nommé en 1264 pour censurer les écrits religieux juifs. Lorsque les frères demandèrent au cuisinier à qui appartenait le navire, il leur répondit qu’il appartenait au roi, revenu de sa croisade à cause du mauvais temps. La réaction des religieux surprit le cuisinier : au lieu de rendre visite au roi, ils continuèrent leur route vers Montpellier. Jaume, qui connaissait bien les deux hommes, fut quelque peu contrarié par leur manque de courtoisie.

Après leur passage à Montpellier, il est probable que les deux hommes aient voyagé vers le nord, jusqu’à Paris. Autrement, il serait difficile d’expliquer pourquoi ils auraient navigué directement de Tunis à Agde, un port méditerranéen français, plutôt que de rentrer à Barcelone. De plus, les deux hommes avaient des liens personnels avec Louis IX et partageaient ses intérêts pour les croisades et le travail missionnaire. Louis avait justement besoin de leurs compétences à cette époque. En octobre 1269, environ trois semaines après la rencontre avec le cuisinier de Jaume, le roi de France accueillait des envoyés tunisiens à Paris. Ayant récemment quitté Tunis, Ramon et Francis pouvaient offrir un compte rendu de la situation dans la ville, ce qui aiderait Louis à contextualiser ses conversations avec les émissaires. De plus, la maîtrise de l’arabe par Ramon lui permettait de servir d’interprète. Les monarques méditerranéens pouvaient utiliser des Juifs, des renégats et des mercenaires bilingues comme traducteurs, mais Louis préférait les Dominicains connaissant l’arabe, dont le nombre était limité.

Les envoyés tunisiens étaient à Paris dans le cadre d’une initiative diplomatique hafside visant la Sicile angevine et la France capétienne. La synchronisation des ambassades et les questions soulevées suggèrent que les mêmes envoyés avaient accompli les deux missions, arrivant d’abord en Sicile fin août 1269, rencontrant Charles en septembre, puis poursuivant leur route vers Paris pour négocier avec Louis en octobre. Compte tenu des enjeux, les envoyés souhaitaient certainement entendre ce que Charles avait à dire avant de parler à Louis.

Charles était préoccupé par la sécurité et l’argent. Il avait besoin de stabiliser la Sicile et de protéger sa frontière sud. Au moment où les négociations avec les Hafsides débutèrent en septembre 1269, la révolte sicilienne perdait de l’élan, mais n’était pas complètement réprimée. Alors que Federico de Castille était retourné à Tunis, Conrad Capece restait en liberté. La révolte montrait qu’al-Mustansir pouvait déstabiliser les territoires angevins centraux s’il le souhaitait. Les projets d’expansion de Charles, notamment en Grèce, dépendaient d’un modus vivendi avec l’émir. Le tribut que Charles pensait que Tunis devait au royaume de Sicile était aussi crucial. Pour Charles, ce tribut faisait partie de ce qu’il avait gagné à Benevento et à Tagliacozzo. Sa situation financière difficile suite à la conquête renforçait cette attitude.

Pour al-Mustansir, la question était de savoir s’il devait payer pour la paix avec Charles et l’accès au blé sicilien, et combien. Il ne disposait plus du même levier qu’auparavant. L’échec de la révolte sicilienne à rétablir les Hohenstaufen le poussait à un arrangement avec le nouveau maître du Regno. La pénurie alimentaire, semblable à celle des années 1230 sous Abu Zakariya, ajoutait à cette pression. Ibn Khaldoun évoque la famine qui sévissait à Tunis en 1269 et 1270. Pour remédier à la crise, al-Mustansir avait plus que jamais besoin du blé sicilien. Enfin, Charles pouvait appuyer ses demandes par la menace de la croisade de son frère. Bien que les rumeurs de l’expédition de Louis fussent répandues, personne ne savait où elle allait. Charles pouvait exploiter cette incertitude lors des discussions avec les ambassadeurs tunisiens.

Les enjeux étant importants, ils ne pouvaient être résolus en une seule série de négociations. Quelles qu’aient été les exigences financières de Charles, les envoyés tunisiens ne les acceptèrent pas, quittant donc l’Apulie sans accord. La menace d’une frappe de représailles de Charles contre Tunis restait donc réelle.

Début octobre 1269, les envoyés tunisiens étaient à Paris avec Louis IX. Ce n’était pas la première fois qu’al-Mustansir et Louis entraient en contact. Geoffrey de Beaulieu, confesseur dominicain du roi, rapporte que les deux avaient échangé plusieurs ambassades avant le départ de Louis en croisade. Selon Ibn Khaldoun et al-Yunini, ces échanges précédents, comme ceux entre l’émir et Charles, portaient sur des questions de commerce, de dettes et d’argent. Les sujets de la couronne française s’impliquaient de plus en plus dans le commerce méditerranéen à mesure que la monarchie étendait sa présence dans le sud de la France, symbolisée par la construction d’Aigues-Mortes pour la première croisade de Louis. En l’absence d’un traité formel entre la France capétienne et l’Ifriqiya hafside, une diplomatie personnelle était peut-être nécessaire pour réguler les conflits qui pouvaient surgir avec les premiers marchands français opérant à Tunis. Il pourrait aussi y avoir eu une dimension politique dans les pourparlers, puisque Louis avait soutenu le renversement des alliés Hohenstaufen d’al-Mustansir.

Le 9 octobre 1269, le roi, entouré de nombreux nobles et ecclésiastiques, célébrait la fête du saint patron de la France à Saint-Denis. Geoffrey de Beaulieu raconte que le roi décida de marquer l’occasion en baptisant un “certain Juif célèbre”. Alors qu’il soulevait le converti du baptistère, Louis appela les envoyés tunisiens à participer à la cérémonie :

“Les convoquant, le roi leur dit avec une grande émotion : ‘Dites à votre seigneur le roi de ma part que je désire si ardemment le salut de son âme que je choisirais de passer toute ma vie dans un cachot sarrasin sans jamais voir la lumière du jour, si seulement votre roi et son peuple devenaient chrétiens de bonne foi !’”

Le discours de Louis aux envoyés nous amène à une énigme centrale de la croisade de Tunis : comment la conversion devint-elle une partie des préliminaires diplomatiques de la campagne ? Geoffrey reste vague sur la manière dont Louis fut conduit à croire qu’al-Mustansir pourrait être disposé à accepter le christianisme, se contentant de dire que des “hommes dignes de confiance” lui en avaient donné l’idée. Geoffrey avait certainement confiance en ses frères dominicains, et plusieurs religieux proches du roi auraient pu l’influencer en ce sens, notamment Ramon Martí et Francis Cendra, qui venaient de quitter Tunis et pourraient avoir été avec Louis à Paris. Une autre possibilité réside dans les envoyés tunisiens eux-mêmes. N’ayant pas réussi à parvenir à un accord avec Charles d’Anjou, ils auraient pu évoquer la perspective de la conversion de l’émir pour gagner la sympathie de Louis et l’inciter à intervenir auprès de son frère pour ramener la paix en Méditerranée centrale.

Quelle qu’en soit la source, l’idée d’une conversion potentielle ouvrait de nouvelles perspectives stratégiques pour la croisade. Al-Mustansir aurait besoin de soutien pour franchir le pas, car il craindrait pour son honneur, son trône et sa vie s’il abandonnait l’islam. Mais si l’armée de Louis montrait sa force devant Tunis, il pourrait accepter la foi chrétienne avec moins de crainte de représailles. La même pression pourrait aussi inciter son peuple à se convertir, lui permettant ainsi de rester au pouvoir. Même si al-Mustansir hésitait, les croisés pourraient piller la ville et utiliser le butin pour financer la prochaine étape de la campagne. Une présence chrétienne à Tunis pourrait également provoquer un renouveau de la foi en Afrique du Nord, autrefois un bastion de l’Église antique. Sur le plan géopolitique, cela permettrait aux Capétiens et à leurs alliés de contrôler les ports des deux côtés du détroit de Sicile, un point de passage stratégique en Méditerranée.

Source : The Tunis crusade of 1270 ; A Mediterranean History - Michael Lower

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